La liberté de la presse en Haïti ou l’expression d’une démocratie en panne

Ce 3 mai ramène la commémoration de la journée mondiale de la liberté de la presse qui se veut un pilier de la démocratie. Malheureusement, cette liberté reste une chimère en Haïti. L’histoire ainsi que la conjoncture montrent une situation alarmante de la liberté de la presse dans le pays. À titre indicatif, dans le dernier classement mondial 2021 sur la liberté de la presse de Reporters Sans Frontières (RSF), Haïti accuse un nouveau recul de 4 places dans l’Édition 2021 et se retrouve 87ème sur 180 pays.
Défenseurs Plus rappelle que le 3 mai a été proclamé journée mondiale de la liberté de la presse par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1993, sur la recommandation adoptée en son 26ème session de conférence générale en 1991. Ce, en réponse à l’appel d’un groupe journalistes africains qui prônait la pluralisme et l’indépendance des médias afin de contribuer au renforcement de la démocratie.
À l’occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse, Défenseurs Plus, organisme défendant les droits de la personne humaine plaide pour une presse consciencieuse, libre, responsable et indépendante. Il rappelle que cette liberté est garantie par la Constitution de 1987 en son article 28.1. De plus, les luttes pour l’effectivité de cette liberté ont été ardue et longue. Le maintien de cet acquis constitutionnel et générationnel demeure nécessaire.
En Haïti, la liberté de la presse reste sous la menace du pouvoir politique et des groupes d’intérêts économiques : l’on compte plusieurs cas de journalistes assassinés pour leur opinion sans que les autorités judiciaires n’aient parvenu à faire la lumière sur ces crimes. Cela dit, l’impunité s’érige en un véritable frein à liberté de la presse en Haïti. Si bien qu’aujourd’hui encore des journalistes exercent leur métier dans la crainte d’être agressés, persécutés ou assassinés pour leur opinion.
Par ailleurs, si les nouvelles technologies ont permis une plus grande diffusion et accessibilité aux informations, il reste néanmoins beaucoup de chemins à parcourir pour une presse de qualité en Haïti. À regarder de plus près, depuis quelques années, les médias numériques croissent à vitesse exponentielle. Il n’existe en revanche aucune loi règlementant ces nouveaux médias.
Que peut-on dire des contenus publiés par ces « nouveaux maitres » de la toile en Haïti ? Les informations publiées sont-elles utiles à la consolidation de notre démocratie ? Satisfont-elles l’intérêt général ou leurs auteurs se constituent en de simples caisses de résonance ? Quid du droit d’auteur ? Les images, les textes publiés respectent-ils ce droit ? À l’heure ou la célérité l’emporte sur la qualité, l’on ne saurait s’appuyer sur cette forme de journalisme, qui fait fi du respect des règles déontologiques, pour éduquer un peuple qui se cherche depuis des lustres.
Ces espaces de médias sont aussi utilisés par certains groupes armés sans inquiéter pour les atrocités commises sur la population. De plus, certains politiciens et groupes d’intérêts utilisent les espaces médiatiques pour faire appel à la haine et la violence dans un État affaibli et dépourvu des moyens de sa politique en matière de communication publique et de protection de la population. Quel est la responsabilité du CONATEL dans une telle dérive ? Où est passé la responsabilité morale des patrons de ces médias ?
La liberté de la presse, considérée comme fondamentale pour l’exercice de la démocratie se trouve en grande difficulté en Haïti, si l’on tient compte des obstacles auxquels font face les médias et professionnels du secteur. Ces derniers butent en permanence sur la problématique de l’accès aux informations d’intérêt public. Or, comment bien informer et éduquer les citoyens et citoyennes en vue de la consolidation de la démocratie si les journalistes ne peuvent pas être objectifs, indépendants et, par-dessus tout, sont pas libres d’informer la population? N’en parlons de leurs conditions de travail plus que précaires et de leurs salaires indécents.
De plus, la liberté de la presse garantit à l’ensemble de la population des moyens d’exprimer ses revendications, ses aspirations, de conserver des liens afin de transmettre des valeurs démocratiques. L’information comme bien commun et public implique une régularisation stricte des autorités étatiques. La presse doit travailler pour conserver son rôle de rempart dans la démocratie et contribuer au développement socioéconomique du pays.
À l’occasion du 03 mai 2022, journée mondiale de la liberté de la presse célébrée autour du thème « Le journalisme sous l’emprise du numérique », Défenseurs Plus interpelle les organisations de la société civile, les autorités étatiques à régulariser le secteur. Cette régulation doit se faire tout en tenant compte des avancées numériques, tout en jouant leur rôle de bouclier à la démocratie qui peine à s’installer dans le pays. Il invite également les associations de médias à faire respecter les règles déontologiques du journalisme aux membres de la coopération. Ainsi, nous pourrons compter sur un journalisme utile en Haïti afin de consolider notre démocratie, la seule option qui permet au pays de prendre la route du développement où le bien être de la population pourrait garantir.

Fait à Port-au-Prince, le 02 mai 2022

 

Samendina Lumane JEAN
Responsable de Communication et de Plaidoyer
(509) 4737 6960

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