La défaite de la démocratie en Haïti : Regard sur le comportement de nos politiciens

e 15 septembre est la date retenue internationalement pour commémorer les valeurs des institutions démocratiques dans nos sociétés contemporaines. Le Collectif Défenseurs Plus, Organisme de promotion et de défense des droits humains, profite du contexte pour porter un regard critique sur la transition politique initiée dans le pays depuis 1986 et invite les organisations de la société civile  à opter  pour l’application effective des normes démocratiques et à accompagner les autorités étatiques dans le processus de la démocratisation du pays

Cela fait plus d’une trentaine d’années depuis que le peuple haïtien s’est détourné de la voie dictatoriale pour cheminer vers celle de la démocratie, système politique accordant préséance à la souveraineté populaire, à l’autodétermination du peuple de son histoire ou de sa destinée. Depuis la Grèce antique (VIe siècle avant notre ère), l’on concevait la démocratie comme une forme organisationnelle du pouvoir qui requiert la participation directe des citoyens et des citoyennes aux affaires publiques. Le vote pour les anciens ne servait pas à élire des représentants mais à impliquer le « citoyen » dans les prises de décisions engageant la collectivité. Jean Jacques Rousseau, l’un des penseurs qui inspira la révolution française, était partisan de cette démocratie directe ou de l’absolutisme démocratique, bien qu’il ait omis la question de la discussion publique formant la légitimité politique. En revanche, les modernes, en réponse au rousseauisme, retiendront une forme de démocratie dite représentative. Laquelle forme la communauté politique haïtienne a adoptée en élaborant la Constitution de 1987 après 29 ans de dictature.

En effet, à travers la démocratie, la première république noire du monde voyait poindre à son horizon un véritable espoir pour ses aspirations au bien-être, à la liberté, à la jouissance des droits humains et au respect de sa dignité. Mais l’on peut constater depuis plusieurs décennies, avec regret, un détournement, voire une perversion de la démocratie par des secteurs réactionnaires nationaux de connivence avec certains acteurs internationaux. Certains d’eux sont porteurs que de discours.

 

Démocratie…et après ? L’ère de l’injustice et de l’exclusion sociale

Nul ne pourrait nier qu’après la dynastie des Duvalier, il y a eu de relatifs progrès au sein de la formation sociale haïtienne, du moins, en ce qui a trait entre autres à la liberté d’association, liberté d’expression et de communication (dont celle de la presse). Ces progrès sont remarqués avec l’adoption d’une Constitution qui prend en compte les valeurs universelles des droits de la personne humaine et les valeurs démocratiques. En dépit de ces constats, il  n’en reste pas moins vrai qu’aujourd’hui la grande majorité de la population haïtienne croupisse dans la misère avec un accès extrêmement limité aux services sociaux de base. Les zones de provinces demeurent encore les plus exclues de la République. Ainsi, la scission entre la paysannerie et le reste du pays persiste encore. Certains dirigeants et néo-duvaliéristes tentent de nous faire croire que la démocratie soit la responsable du sort néfaste du pays, mais le bon sens nous porte à indexer la classe politique et les dirigeants au pouvoir qui n’ont jamais su appliquer les véritables réquisits de la démocratie.

 

Une démocratie sans le peuple ! Crise de  la représentation et de la légitimité en Haïti

Aujourd’hui, dans nos sociétés contemporaines, le modèle représentatif de la démocratie est le plus répandu. Celui-ci provient d’une critique libérale, du moins en France, de l’absolutisme démocratique par des penseurs tels que Benjamin Constant, Jean Sieyes, contemporains de la révolution française. Au regard de la Constitution de 1987 et les conventions internationale ratifiées par l’État haïtien, Haïti a opté pour une démocratie représentative, laquelle requiert une procuration de la souveraineté du peuple à des représentants qui sont censés traduire en acte la volonté de celui-ci. Force est de constater, qu’il y a un fossé énorme qui se creuse entre le peuple et ses élus. Au lieu de représenter la population et ses intérêts vitaux, ces grands commis de l’Etat ne font que se représenter eux-mêmes et défendre leurs intérêts personnels. La masse populaire aspire à de meilleures conditions de vie, mais ce sont plutôt nos élus qui ne cessent de mener une vie luxueuse en utilisant les fonds publics. Encore faut-il souligner que la corruption est la voie privilégiée de ces dirigeants pour s’emparer des richesses de la nation.

 

Exclusion du peuple de l’espace politique

La démocratie, exige la participation des citoyens et des citoyennes à des discussions publiques en vue d’une formation rationnelle de l’opinion et de la volonté politique. Ce qui suppose une éducation susceptible de les rendre aptes à défendre les principaux droits fondamentaux de la population. Pourtant, la population n’a guère accès à une éducation de qualité pouvant lui conduire à cette émancipation politique. Il s’ensuit qu’aujourd’hui Haïti reste un terrain fertile pour l’émergence du populisme qui reste un obstacle majeur à la légitimation donc à l’émergence de la démocratie.

De plus, il y a une réticence des gens à participer aux élections (faible taux de participation) en raison de leur méfiance vis-à-vis des institutions étatiques, ce qui n’inquiète guerre les dirigeants politiques du pays. Soulignons aussi, l’exclusion politique de ceux et de celles qui n’ont point accès à une identité ; la souillure des processus électoraux, les crimes électoraux commis par les membres des différents gouvernements et de certains conseillers électoraux entre autres. Autant de dérives qui prouvent que le système est organisé de telle sorte que la population soit exclue de l’arène politique, alors que le pouvoir est censé lui appartenir, selon la Constitution de 1987 et les prescrits des conventions internationales.

 

Vers une démocratie délibérative

S’il est vrai que le pays s’est inscrit dans un processus de démocratisation et de modernisation de son espace politique, il n’est pas arbitraire de dire que les embûches et les écueils à ce processus ont surpassé les efforts de la classe politique, minée par la prédominance des intérêts particuliers, de la corruption et de la népotisme.

En vue d’une poursuite de ce  processus de démocratisation initié par les mouvements post 86, mis à mal et détourné par les renégats et les forces réfractaires du pays. Les citoyens et citoyennes doivent investir davantage l’espace public et politique au profit de leur bien-être et de la réaffirmation de la souveraineté du peuple. Ainsi que pour la jouissance des droits fondamentaux.

Les forces vives de la nation doivent participer activement à la vie publique en vue d’une formation rationnelle de la volonté politique des citoyens et des citoyennes ; d’une justice sociale compatible avec les aspirations du peuple haïtien et enfin d’une réconciliation entre  l’Etat et la nation, capable de nous permettre de prendre la voie démocratique.

 

Port-au-Prince, le 13 Septembre 2019

 

Pour le Collectif Défenseurs Plus

Antonal MORTIMÉ

Co-Directeur

(509) 3715-72-99

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